Le retour du buveur de thé

Les portes du saloon grincèrent…  
Un vieillard à lunettes dévisagea les soulards sirotant leurs tord-boyaux.
Tout le monde se retourna, interloqué par l’arrivée d’un fleuron du troisième âge. Et il n’avait pas l’air content le vieux… Pas du tout content !
Il était petit, rabougri, fin comme une tige et portait un vêtement qui faisait plus penser à un pyjama qu’à un uniforme.
Aux pieds, pas de bottes… mais des chaussons moelleux en feutre ecossais… Sa chevelure hirsute pleine de boucles en bataille donnait l’impression qu’il sortait du lit...
Il avança nerveusement avec sa canne qui tapait le parquet et rythmait d’un “Tac-Tac-Tac” le silence qui s’était installé dans le saloon.
On le regardait d’un air dubitatif. Le vieux était en train de râler contre les chaises et les tables qu'il percutait à cause de sa mauvaise vue.
Plissant les yeux, il arriva finalement au comptoir en tapant du poing et proférant d’un accent slave :

       Olaf ! Envoies moi une eau chaude !

*Chuchotement dans le saloon

Une eau chaude? Une mauvaise vue?? Un accent slave???
Malgré leurs ivrogneries, les nordistes commencèrent à percuter… C’était Choukanov !
Le ruskov à lunettes, cavalier hors pair, buveur de thé, ex-chef de compagnie de l’Ourson… ayant connu son heure de gloire en mettant en déroute une attaque de Francs Tireurs lors d’une précédente bataille.
Sauf que là, il avait prit un méchant coup de vieux… Le temps l’avait desséché comme un raisin sec… on avait même l’impression qu’il avait rétréci depuis sa dernière chevauchée sur le champ de bataille…
Quelques centimètres en moins et un air de teigne en plus. Le genre de vieux que les années ont rendu gâteux, aigri et insupportable. Un vieux schnock rempli de certitude et impossible à remettre en question. Un pépé qui détestait la jeunesse qui selon lui ne comprenait rien à rien…

Choukanov s'enfila son eau chaude d’une traite et claqua sa tasse sur le comptoir.
C’était l’heure ! L’heure d’asséner à cette foule d’ivrognes un discours enflammé. Et pour ça, il s’était décidé à monter sur la table pour bien les prendre de haut.
Première étape, la chaise. Un pied après l’autre, il grimpa dessus, mais son visage se crispa d'un coup net. Il était figé le vieux... c’était son arthrose… Ou peut être ses rhumatismes, difficile à dire. Quoiqu’il en soit, on ne savait plus qui de la chaise branlante ou des genoux du pépé tremblaient le plus. Ca commençait à rigoler dans le saloon. La scène devenait si interminable que rapidement deux jeunes nordistes se dévouèrent pour le soulever par les épaules et l’installer sur la table.

Désormais sur son piédestal, et sans avoir pris la peine de dire "Merci" aux deux nordistes, il se redressa dans un dernier craquement de vertèbres, tapa sa canne trois fois pour mettre un terme au brouhaha.
Puis…... hurla :

       ALORS LES BLEUS ! On s’est encore pris une dérouillée ??
       Ah bah oui, c'est normal j'suis pas là ! Forcément le Nord est dans les choux !
       A part votre tord boyaux, z’avez rien dans le bide ! Beurk…

*jetant une liasse de télégrammes à la figure des nordistes
       Jdois planter mes patates moi !
       Mais ça fait 15 jours qu'on me harcèle d'appel à l'aide !!!
       "Choukanov, the North needs you !"
       
*pointant sa canne menaçante vers son auditoire…
       Z’êtes vraaaaiment qu’une bande de raclures ! Des moins que rien !
       Des couilles molles confinés dans un saloon poussiéreux à boire un satané virus.
       C’est pas comme ça que vous allez gagner la guerre !

*s’avançant d’un pas vers le bord de la table…
       Moi j'vous l'dis, je vais mettre de l’ordre la dedans fissa ! Gniark !!
       Ca va filer droit à la méthode russe ! La vodka en moins...
       J'vais vous montrer comment s'y prendre pour dégommer ces salopes de rebs !
       Du courage et de la DIS-CI-PLINE, BORDEL DE M..... !#%?*&#!

Il venait de taper du pied sur la table pour conclure avec rage…
Et malgré son poids plume, la table bascula nette.
Virevolte ! Cabriole ! Un chausson qui part dans les airs… le fracas du bois et le bruit d’un craquement d’os… Et un nuage de poussière qui s’élève…
On entendait gémir le vieux sous les bouts de table. Dans sa chute, Choukanov avait perdu ses lunettes et n'y voyait plus que pouic.


(RP ouvert à qui veut !)

Un drôle de soldat était entré, couvert de poussière il était bien difficile de voir la couleur de son uniforme, pourtant on jurerait qu’il était gris comme celui des soldats de la Confédération.
Par contre le chapeau même poussiéreux était bien celui d’un cavalier yankee.
Malgré cet aspect surprenant le bonhomme était droit comme un piquet.
Peu de monde malgré tout ne fit attention a lui, car un autre personnage atypique était entré quelques minutes avant lui. Gunsnrozie, avait assisté au sermon, un de ceux dont il affectionnait lui-même.
Il ne pu quand même s’empêcher d’écarquiller les yeux quand le vieux bonhomme fit une cabriole avant de s’écraser sur la table la réduisant en morceaux. Curieuse chose d’ailleurs qu’un petit bonhomme sec comme lui n’ait pas cassé lui-même.
Voyant les binoculaires, il les ramassa mais s’abstint de relever le personnage, a coup sur la fierté de ce bonhomme pouvait être dangereuse.

- Bonsoir grand-père, je crois que vous avez perdu ceci … ( son regard se porta brièvement sur la paire de lunette qu’il tenait dans sa main gauche) . Si je puis vous donner un conseil, votre sermon était épatant, cette jeunesse a besoin que l’on lui botte le cul. Par contre pour la portée de votre discours je crois qu’il vaut mieux éviter de reproduire votre final.
… Il marqua un silence afin de laisser a ce vénérable ancêtre le moyen de se reprendre, mais ne pu s’empecher d’esquisser un petit sourire lui aussi, en se disant que de toute manière ce genre de spectacle même si on oubliait son contenu ne pouvait pas faire de mal aux jeunes soldats nordistes.

Preston, accoudé au comptoir avec son grouillot Damian, sifflait son lait de chèvre fermenté - il avait fini par s'y mettre, et même par l'apprécier - en broyant du noir. Il avait vu le vieux bonhomme entrer et faire son discours. Fasciné, Preston n'en avait pas perdu une miette. Damian, lui, se marra lorsque le vieux Russe s'écroula à terre, et se mit à ronfler.

-Et ben on n'est pas rendu. Patron, excusez-moi, mais votre armée, là, c'est de pire en pire. Vous avez vu ce pauvre vieux?

Preston, une lueur dans les yeux, répondit au grouillot, exalté.

-Fantastique ! Voici enfin l'homme qu'il nous fallait ! Le vieux maître capable de galvaniser les troupes, le génie militaire légendaire.

Damas dévisagea Pax, abasourdi.

-Vous êtes sérieux, là? Ce rebut? Faut arrêter le lait de chèvre, Patron !

-Damas, je pense que c'est l'homme dont parlaient les anciens ! Mais si, tu sais bien, le commandant du terrible Zornig !

-Euh, c'était pas plutôt un Zorn, celui-là? Zurn? Zroub? Un allemand, quoi. Pas un Ruskov.

-(troublé) Ah bon, tu crois? Pourtant, tu as vu cette prestance, ce panache? Mon bon Damas, j'en suis convaincu, IL est revenu. Nous avons notre élu. L'homme providentiel qui rétablira l'équilibre dans la Force.

-Rien compris. C'est ptet pour ça que je suis l'ouvrier et vous le patron, Patron.

Damas renifla, cracha un gros mollard dans le crachoir par terre, et vida sa choppe d'un trait.

Le ronflement s'arreta d'un coup.
...Silence sous la table... le vieux venait-il de rendre l'âme?

       AAAATCHAAAAHHHHOOOOOUUUUUUMMAAAA !!

Sous cet éternuement tonitruant, on entendit le choc d'un crâne cogner sèchement la planche de bois qui couvrait le bonhomme.
Lentement, Choukanov sortit des décombres.
Tout le monde aurait parié que la chute l'avait cassé en deux, mais miraculeusement il n'en fut rien...
Il se releva, s'époussiéra, et semblait interloqué par tout ce bazar autour de lui. Que diable s'était il passé ?
On le vit plisser ses petits yeux et approcher sa tête vers la main de l'homme poussière, et distingua l'image floue mais caractéristique de ses lunettes.
D'un geste précis, il les saisit et les mit sur son nez.

       Ah ! Merci "Homme-poussière", vous êtes bien bon !

Oui, le vieux venait de dire "Merci"... A croire que cette courte sieste l'avaient curieusement mis de bonne humeur...  
Il examina les alentours... Il était dans le saloon... avec un énorme bazar de table cassée à ses pieds et il avait perdu un chausson...  
Et tout le monde le regardait amusé, interloqué... C'était vraiment bizarre tout ça, mais soit !  
Il fit volte face vers le comptoir comme si rien ne s'était passé et hela le tenancier :

       OLAF ! Envoies moi une eau chaude !
       
Il commença à boire sa camomille, et se frotta son postérieur étrangement douloureux.
Sur sa droite, il remarqua un homme impecablement sapé, pas un pet de travers, droit comme un i et qui buvait un lait de chèvre.
L'homme le regardait avec des lueurs dans les yeux.
Intrigué, Choukanov s'approcha de lui, puis s'esclaffa

       Mouarfff ! C'est pas vrai ! Mais c'est mon p'tit Eddy !
       T'as prit un coup de vieux dis donc !

*Lui pinçant les joues comme à un gamin

       Regarde moi ces épaules, et cette machoîre carrée !
       Ca y est ? T'as des couilles qui ont poussé ??

*Lui tapant gentillement la joue

       Ah ça me fait plaisir de te voir le bizut !

Il ne laissa même pas l'homme répondre, car il se rappela soudainement la raison pour laquelle il était venu dans ce saloon.

       Bon, c'est pas tout ça, mais j'ai un discours à faire !
       Ecoutes ça et prends en de la graine minot !

Il s'écarta du comptoir, choisit une table et monta dessus.
Sur cet air de déjà vu, les nordistes le regardèrent exaspérés pour les uns, amusés pour d'autres. Certains se risquèrent même à le huer.
Choukanov n'aima pas du tout cet air de raillerie et de confrontation... surtout de la part de cette bande de poltrons alcooliques...
Alors, il tapa sa canne trois fois sur la table, puis .... hurla :

        ALORS LES BLEUS !!!! On s'est encore prit une dérouillée ???
       ...................

Pax en resta médusé. Ils se massait la joue en regardant l'homme remonter sur une table et recommencer son discours.

-Quelle poigne ! se dit-il. Il a faillit m'arracher la joue. Aucun doute, cet homme n'est pas comme les autres.

Une chose le troublait, cependant:

-Qu'est-ce que c'était, cette façon de faire comme si on se connaissait? Cette familiarité? Il faisait comme s'il me prenait pour un autre. Je suis sûr que c'était un test. Mince, à tous les coups j'ai échoué. Mais dans quel but? Ah, les grands esprits sont vraiment impénétrables...

Pax attendit que l'homme finisse son discours. Dans l'indifférence générale, il fallait bien le dire. Puis il l'aida à descendre de sa table.

-Monsieur, je crois que vous m'avez pris pour un autre, tout à l'heure. Je ne suis pas cet Eddy dont vous parliez. Mon nom est Preston Albicius Christensen, mais tout le monde m'appelle Pax. J'ai suivi votre discours avec le plus grand intérêt. Vos deux discours, en fait. Enfin, deux fois le même... bref. Le Nord a besoin d'hommes comme vous ! De vétérans à poigne. Avez-vous déjà entendu parler de la DSL? C'est une nouvelle compagnie, la fusion de la CSL et de la DST. Nous gagnerions beaucoup à recruter un homme comme vous! Seriez-vous intéressé par nous rejoindre? Je pense que vous y trouveriez un certain nombre de nouveaux bizuts !

Pax tendit au vieil homme une carte de visite, sur laquelle on pouvait voir une chèvre et un taureau.

On l'avait hué pendant tout son discours...
Il en était rouge-tomate de colère !
Inconsciemment, il n'avait pas taper du pied pour conclure.
Au lieu de ça, il avait balancé son dernier chausson en plein dans la figure du nordiste le plus vociférant...
Paf dans le pif !

Seul le p'tit Eddy semblait avoir saisi la portée de son discours et l'aida gentillement à descendre de la table, pieds nus.
Sauf que le p'tit Eddy disait qu'il s'appelait Preston...
...Et que ce soit-disant Preston voyait en Choukanov, LA recrue pour infliger une belle correction aux rebs et sauver les bleus.
Un bon gars ce p'tit ! Ca a remonté le moral du vieux...

       Mon p'tit Eddy... Qu'est ce qui t'es arrivé ???
       Tu t'es cogné la caboche ? T'as perdu la memoire ? Tu savais plus comment tu t'appelais ?
       Ou alors ?? T'as fais des galipettes avec la femme du général et t'essayes de cacher ça avec une nouvelle identité ?
       Pas bête le p'tit !
       Preston, c'est pas si mal... une bonne prestance !
       Mais bon...

*Lui attrapant une nouvelle fois les joues

       Tu res-te-ras mon p'tit Eddy !!!
       ...
       Bon... parlons peu, parlons bien !
       Ton truc là... l'ADSL... c'est quoi ce bazar ?? Pourquoi y'a une chèvre sur ton bout de papier ?
       Tu vas pas me dire que tu t'es fait monter le bourrichon par les bouseux quand même ?!
       Tu as sans doute oublier mon p'tit, mais moi, les "Crénom de Vindiou", c'est NON ! NIET ! Hors de question !
       Ils sentent trop forts... On les comprend pas... leurs canassons sont trop lourds... et ils font un boucan pas possible !!
       Aucun moyen d'être furtif !
       Et puis l'autre là, le "Ch'cronch-Ch'chronch"... Ah oui il tape fort ! Mais il a rien dans le cibouLOT ! Ca vaut pas un clou des gars comme ça !
      ...AIE !!

Choukanov venait de marcher sur un clou...
Il se retourna vers l'homme-poussière qui lui avait remis ses lunettes

       Dis donc mon brave, vous qui avez l'oeil... N'auriez pas vu mes chaussons ??
       Deux petits chaussons tout doux, motif écossais !

Chonch marchait dans la grand rue de la ville. Il venait d’attacher son cheval devant la blanchisserie puis l’avait dessellé et s’apprêtait à entrer dans la boutique avec son attirail nonchalamment posé sur l’épaule.
Ses vêtements étaient couverts de boue et sa propre odeur commençait à l’indisposer, signe qu’il était plus que temps de nettoyer son uniforme et de prendre un bain.
Mais au moment de pousser la porte il s’arrêta net comme pour réfléchir.

Ouaip, un p’tit lait d’chèv’ au saloon... juste un p’tit... on n’est pô à lô minute non pu!

Convaincu par cet argumentaire sans faille, il tourna les talons et se dirigea vers le saloon.
Alors qu’il s’apprêtait à entrer, il entendit brailler à l’intérieur.

Bôh! Quoé qu’c’est dont qu’tout c’tintouin lô?!
Dites-moi pô qu’les copains y seraient en train d’s’en jeter queques-uns derrière la casquette sans m’prev’nir!
Du raffut comme cô, c’est qu’y ô du rustique dans les parages cô c’est sûr!

Il poussa les portes battantes du saloon quelque peu remonté à l’idée que ses camarades puissent fêter une victoire dont il n’aurait pas connaissance et sans lui de surcroît!

En entrant, il remarqua tout de suite la présence de Pax. Les deux soldats ne s’appréciaient guère et encore moins depuis que Chonch avait pu lire dans l’étoile du Nord quelques critiques à son égard.
Sa colère et sa frustration étaient d’autant plus grandes qu’il le rencontrait alors que sa missive anonyme n’était pas encore parue dans la troisième édition.

Tiens tiens! Mais qui qu’c’est dont que j’trouve lô fringant comme un jeune taureau qu’on présent’rait à une génisse ?! L’banquier! Alors ? On reste toujours aussi loin des rebs?!

Puis son regard se posa naturellement sur le vieil homme qui se tenait courbé à côté de lui et qui semblait chercher quelque chose au sol.

Enfin... quand j’dis génisse... la tienne paraît point être d’première jeunesse AHAHAHAHaHahahah...

Il s’arrêta, constatant qu’il était seul à rire de sa blague.

Au même instant, alors que Chonch commençait tout juste à se demander si les nordistes avaient vraiment de l’humour, un jeune soldat de deuxième classe entra dans le saloon.
Il semblait chercher quelqu’un du regard et celui-ci se posa très vite sur le rustique.

Caporal chef Charles Shelton dit Chonch? C’est bien vous?

Flatté qu’on puisse le reconnaître aussi rapidement, le paysan bomba le torse.

Ça dépend! Qui est-ce qui l’demande?

Chonch eut du mal à cacher son petit rictus satisfait, persuadé que cette dernière tirade lui donnait plus de contenance. Il l’avait gardée dans un coin de sa tête et s’était toujours dit qu’il réussirait bien à la placer un jour.

Le deuxième classe le regarda d’un air effaré et poursuivit en sortant un document officiel de l’Etat Major de l’intérieur de sa veste.

-Je viens par la présente missive vous informer que vous êtes promu au grade de sergent.
Un nouveau soldat de deuxième classe est affecté à votre bataillon.
Son matricule n’est pas encore officiel mais il vous attend dès à présent au fortin Décis pour recevoir ses ordres.
Il répond au nom de Piotr Raskolnikov, vous pourrez ainsi l’identifier.

-Au nom de quoi???...

Le soldat jeta un coup d’œil à la lettre puis répéta hésitant.

Pio... Piotr Raskolnikov

Le sang du rustique ne fit qu’un tour

Quoé? Qu’est-ce c’est qu’ce chantier lô?!!
Un ruskov sous mes ord’ !! A moé! J’leur ai bin dit qu’moé j’voulais du paysan! Du rustique! Un gôrs d’lô terre! Capable de r’connait’ une jument engrossée rien qu’en y r’rniflant l’cul!!

Le jeune soldat tenta confus

Je ... je ne sais pas quoi vous dire sergent. Je ne suis qu’un exécutant. Ce n’est pas moi qui affecte les soldats.

Chonch s’emporta et attrapa le soldat par le col.

Ouais mais c’est bin toé qu’est d’vant moé à t’pisser d’ssus comme un poulain qu’vient d’naitre!
Moé les ruskov j’en ai soupé!
J’en ai eu un collé à mes bottes pire que d’lô fiente de brebis pendant toute la dernière guerre moé!
C’est pô toé qu’ô dû écouter les moqu’ries du Choukanov pendant 4 ans hein!!! C’est pas toé!!

Chonch relâcha le jeune soldat tout en continuant à lui hurler dessus

Dégage moé d’lô avant que j’t’écrase lô caboche que tô pauv’ mère elle pourra pu t’reconnaitre!
Pi tu vôs dire aux gôrs d’lô haute lô que moé j’en veux point du ruskov!!
T’m’as compris??

Le deuxième classe recula prudemment.

Je ... je vais faire mon possible sergent mais encore une fois je ne décide de rien moi.

Puis une fois assez proche de la porte, il s’enfuit du saloon en courant.

Choukanov sentit soudainement un courant d'air chaud et nauséabond pénétrer le saloon...
Une odeur forte comme le relent d'un fromage qu'on aurait laissé chauffer dans des bottes plusieurs jours sous le cagnard...
Un fumet qui agressait les narines et finissait par s'engouffrer jusqu’au fin fond de la gorge…

Et voilà que cette terrible odeur se mit à parler...

C'était lui. Aucun doute.
Son odeur, sa voix, ses blagues foireuses.
C'était Chonch...
Chonch, "l'insoutenable"... La fragrance incarnée des Vindioux...

Choukanov l'avait cotoyé sur de trop nombreuses batailles au péril de sa vie et de son odorat.
Et entre eux, ça avait été toujours compliqué… Ils étaient comme chien et chat ou plutôt comme chèvre et ours.

A la mention de “génisse”, Choukanov lui aurait bien balancé un chausson dans la tronche s’il en avait encore un…
Mais voilà qu’un deuxième classe fit son irruption dans le saloon annonçant la promotion de Chonch au grade de “Serchent”.
Il était pas peu fier le gros, jusqu’à ce qu’il apprenne qu’on venait de lui coller un russe comme grouillot. Et ça, il l’a pas encaissé.
Car Chonch était un de ces gaillards qui supporte mal les “gens différents”.
Vous étiez blanc, gentil et propre sur vous comme le p’tit Eddy ? Ca passait pas...
Les noirs ? N’en parlons pas…
Les indiens ? Non plus…
Et en haut du panier des pires saloperies du monde, juste derrière ces cons de confédérés, il y avait les russes…      

Choukanov avait rencontré ce Piotr en question qui venait de débarquer de la mère patrie.
Piotr était un jeunot avec une tête de minet et encore du duvet.
C’était pas encore un homme… un adolescent tout timide, 16 ans à tout casser. Il avait dû mentir sur son âge pour rentrer dans l’armée.
Piotr était aussi beau que Chonch était laid. Une chevelure blonde, des yeux bleus perçants et la promesse d’une future mâchoire carrée à faire rougir les jeunes filles.
Cerise sur le gâteau, Piotr ne parlait pas un mot d’anglais. La communication promettait d’être explosive !
Choukanov jubilait à imaginer le gros Chonch essayer de donner ses ordres au jeune Piotr. Et il eu soudainement un élan de compassion pour cette future équipe vouée à l’échec.

Alors il s’avança pendant que l’autre terminait de secouer le pauvre deuxième classe.
L’excitation de Chonch décupla ses émanations corporelles. Ca empestait sâlement... le pauvre deuxième classe avait dû prendre cher à être en tête à tête ! Choukanov se masqua la face avec son écharpe pour faire barrière contre ces pestilences. Il se stoppa à “1 mètre” de Chonch afin de garder une distance de sécurité et éviter ainsi une quelconque contamination.

Le deuxième classe parti, Choukanov envoya la pointe de sa canne dans le postérieur du nouveau Sergent.

       Alors GROS TAS !!
       On t’annonce que t’es Sergent, et t’es tout colère ?
       Faut pas se mettre dans cet état mon pépére !
       Files moi tes galons vieille canaille !
       Et le p’tit Piotr, jt’le prends aussi !
       FILES MOI TES GALONS, J'TE DIS !
       Et par pitié...
       VA PRENDRE UN BAIN !!!!

Chonch regarda le vieillard d'un air ahuri.
C’était comme si ses quelques neurones avaient du mal à remettre le visage qu'il avait devant lui.

Cette voix! Cette voix crenomdeudlô! Refechis mon Chonch! Fais tourner tout c’qui ô dans tô caboche lô!
C’est comme si qu’cette voix qu’tu lô connaissais mais qu’l’était pu chevro...chev...comme si qu’il avait une chèv ´ dans l’gosier.

Définitivement et malgré toute sa concentration Chonch n’avait pas reconnu son meilleur ennemi.

Dis dont l’croulant! Qu’jô l’sentiment qu’on s’connait mais qu’j’arrive point à remett’ l’endroit où qu’j’aurais côtoyé un vieux braillard comme toé!
Est-ce que cô s’rait point lors d’mô dernière visite au saloon? Qu’avoue qu’ce soère lô, j’ô comme un trou noir sur qu’est-ce qui s’est passé...

...Après avoir vainement cogité, Chonch s'était avancé jusqu'au vieillard pour lui parler... rompant la distance de sécurité...
C'était trop tard... Chonch avait ouvert la bouche pour parler.

Chonch [66] a envoyé son haleine à Choukanov [821] ( Précision : 0 / 87 ; Dégât : 116 ; Gain XP : 0 ; Gain PC : 0 )

Une haleine du rustique à bout portant... Une effluve rivalisant avec les plus horribles flatulences... une arme de destruction massive...

Chonch eu à peine le temps de finir sa phrase qu'il vit le vieillard basculer en arrière droit comme un i.
PAF ! Choukanov percuta avec sa tête une table du saloon qui ceda sous le choc.
Trou noir.

En voyant le vieil homme s’écrouler, Chonch eut une réaction de panique.
Il s’agenouilla près de l’homme évanoui et s’adressa à l’ensemble des soldats présents dans le saloon tout en lui tapotant les joues.

C’est pô moé! J’y ai rien fait au vieux.
Qu’il est tombé tout seul! D’un coup! C’est pas moé! J’tape point sur les vieux moé! Faut m’croire!

Il jeta un regard circulaire sur les clients qui le regardaient mi dubitatifs mi accusateurs.

... un méd’cin!! Y ô t’y point un méd’cin sans c’trou à poivrots ??!!!!!

Son regard paniqué se posa alors sur le barman.

Eh toé! Sers dont moé un lait chèv’! Du 12 ans d’âge!
Qu’le vieux l’est en train d’clamser lô!

Le barman se précipita vers Chonch et lui tendit, non sans garder ses distances, un verre du fameux breuvage.

Chonch ouvrit la bouche du vieillard et s’apprêtait à lui verser le contenu du verre...

Les soiffards du saloon n’avaient rien compris à ce qui s’était passé. Le pépé était tombé net sans crier garde. Un Knock Out sans même un coup de boule. Le vieux avait dû claquer d’une crise cardiaque…

Chonch et le barman (bien emmerdé par cette deuxième table cassée dans son saloon) s'affairaient autour du petit corps inerte en pyjama. Ils étaient prêts à lui verser le remontant puissant d’un lait de chèvre fermentée, cuvée prestige de 12 ans d’âge. Dans un geste précipité et maladroit, Chonch renversa une bonne rasade sur le visage du vieux. Le liquide ruissela jusque dans les orbites. Réajustant son tir, une bonne goulée généreuse finit par couler enfin dans le gosier du vieux russe. On entendit Choukanov déglutir le breuvage. Une longue seconde passa...

Chonch s’adressa au barman avec un air confiant...

       Ti vas voar mon gôrs ! C’est ti comme d’la potion magique c’truc ! Ca va t’le remett' sur ses deux pattes en moins d’deux !

Malgré la bonne intention de Chonch, tout cela était une très mauvaise idée. Si Choukanov se contentait de boire du thé, c'était pour une bonne raison. Il avait stoppé net l'alcool après une violente overdose de vodka durant ses années de jeunesse. Mais le pire... c’était qu’il était sujet à une méchante allergie au lait.

Le cocktail détonnant du lait et de l’alcool fit une réaction explosive. Dans le corps du russe, on avait sonné l’alerte rouge. En une fraction de seconde, son visage passa du blanc linge au rouge écrevisse. Il ouvrit ses yeux avec un regard de panique. Comme possédé par un démon, le russe se débattait avec fureur, se tordant de tout son corps dans des spasmes d’une violence inouïe, vociférant des mots incompréhensibles en russe, frappant tout autour de lui, y compris la caboche de Chonch.
Il finit par rouler sur le côté, se releva sur ses deux pattes et fonça tête baissée dans le saloon en hurlant.
Il était comme une boule de bowling lancée à pleine vitesse. Tables, Tord-boyaux et nordistes se firent percuter par le corps en furie du russe. Strike !

Il avait terminé sa course en s'éclatant contre le mur. Son corps gisait maintenant par terre, tremblotant, au milieu des tables cassées, des verres brisées et des soldats éberlués.
Chonch accouru, tout abasourdi par ce qui venait de se passait et retourna le bonhomme.
Choukanov était devenu violet ! Son visage qui avait gonflé dans tous les sens était devenu salement méconnaissable.
Il suffoquait... à l'agonie...

Pax était resté interdit devant la scène. L'arrivée de Chonch l'avait crispé. Il ne savait trop comment réagir face à cette brute. Il constata que Choukanov, lui aussi, connaissait Chonch, et ne pouvait pas l'encadrer. Décidément, un homme de goût, ce vieux Russe !

Et puis, soudain, Choukanov s'était écroulé au sol. Pax n'avait même pas vu le coup de Chonch partir. Et cet hypocrite de crévindiou qui assurait que ce n'était pas lui qui l'avait assommé ! Mais bien sûr. Et voilà que Chonch, prétextant soigner Choukanov, l'empoisonnait! Pax, paniqué, n'y tint plus. Il sortit du saloon en hurlant dans la rue.

-Un médecin ! Il faut un médecin ici ! D'urgence !

Un homme de haute stature, entre deux âges, cheveux longs et barbe fournie, s’approchât, sans hâte excessive.

-Docteur Lazare Dunleavy, mais on m'appelle aussi Doc Chloroquine. En quoi puis-je vous être utile?

Pax entraina le docteur dans le saloon en lui expliquant la situation. Le docteur vit Choukanov, mais ne sembla pas spécialement déstabilisé.

-Oui, bon, ce n'est pas grand chose. Mon traitement à base d'hydroxychloroquine et d'azithromycine va vite le remettre sur pied. S'adressant à Chonch, Vous, le grand gaillard, continuez de le tenir fermement.

Le doc fit avaler sa potion au vieux Russe violet. Rapidement, les soubresauts se calmèrent, Choukanov retrouva une couleur normale. Il se calma et... se rendormit, ronflant et se lovant tendrement dans les bras de Chonch...

Chonch regardait le vieil homme se remettre peu à peu en le serrant contre lui avec une sorte de bienveillance paternelle.
Il n’avait jamais eu d’enfant et n’en avait même jamais tenu dans ses bras. Non point qu’il n’en aurait pas voulu mais il n’avait jamais vraiment eu l’occasion de pouvoir y songer.
Ses conquêtes féminines avaient été rares... très rares. Le travail à la ferme lui avait pris tout son temps et puis, il n’avait pas un physique facile. Il le savait.
Tous ses camarades s’étaient mariés: Gerboise avec Jennifer, Possom avec Mary.Et puis le temps avait passé et il était maintenant certainement trop tard.

Tout à coup, le vieillard se mit à toussoter puis à remuer les lèvres comme pour dire quelque chose sortant Chonch de ses pensées.
Chonch approcha son oreille et entendit dans un souffle:

« Chonch... vieux cochon... tu pues toujours autant! Prends un bain nom de dieu! »

C’est à cet instant précis qu’il comprit... les lunettes... les pantoufles... le thé... et ce caractère de bélier castré...

« Choukanov!!! Vieille Canaille!! C’est bin toé?!! J’interdis d’me crever dans les brôs t’entends?! C’est çô qu’tu veux? Qu’j’ô tô mort dans ma tête toute mô vie?! »

Le médicament avait agi avec puissance.
C’était comme un tour de magie. D’un coup. POUF ! Fini !
Le visage dégonflé,
les voix respiratoires libérées,
le teint de peau tout rosé... comme un bébé tout neuf.
Juste une petite bosse bien ronde et bien rouge sur le front, magnifiquement cerclé par une boucle de cheveux.

Le russe bailla longuement profitant encore un instant des bras réconfortant du rustique.
Des bras musclés et protecteurs dans lesquels Choukanov s’était blotti comme dans un cocon.
Il s'y était si bien calé qu’il avait même fait abstraction de l’odeur épouvantable de fumier qui émanait.

Choukanov s’étira puis s’extirpa se mettant sur ses deux pattes.
On ne sait si c’était l’effet du médicament, mais l’humeur de Choukanov était passé de l'exécrable au joviale, comme reposé par une bonne grosse nuit de sommeil.

Eh beh mon Crévindiou, t’as voulu zigouiller ton vieux russe?!

Chonch resta muet, le cul par terre.
Choukanov l’observa puis soupira...

Chonch.... tu es assis sur mes chaussons...

Il les enfila, retrouva sa canne et se mit en marche vers la sortie enjambant les tables et les chaises fracassées.

Le tenancier, dépité, rattrapa le vieux russe pour lui demander des comptes sur tout le bazar qu’il avait occasionné. Car en moins d’une demi heure, la tornade russe avait réussi à tomber deux fois dans les pommes et à retourner le saloon dans son intégralité.

Désolé mon vieux, mais j’ai à faire ! Maréchal ferrant… tailleur… apothicaire… et retourner à ma bicoque pour terminer ma récolte de pomme de terre… Voyez plutôt avec le gros tas assis par terre ! Il est costaud et vous aidera volontier !

Choukanov passa les portes et chevaucha son mustang.
Puis mettant sa main dans la poche, il retrouva la carte un peu froissé que lui avait tendu le p’tit Eddy…

DSL...

Il resta un instant songeur observant le dessin de la chèvre et du taureau… Il y aurait bien mit un Ours au milieu de tout ça.

Criant à l’intérieur du saloon.

Chonch, on se retrouve sur le champ de bataille !
Mais si je sens la moindre odeur de fumier, je te bouscule dans le Potomac !

Sonné par un coup de talon, son mustang vif et cuivré fit volte face.
Sur son cheval, ce n’était plus le petit vieux du début, il paraissait comme un fringant jeune homme partant au galop dans un nuage de poussière…cheveux au vent... en chausson et pyjama.






(Fin de chronique)
(...désolé du lapse de temps entre les posts…)
(Prochaine chronique en perspective : “Un Russe chez les rustiques : Anthropologie du monde paysan” ou comme si un Claude Levi-Strauss russe était venu étudier les rustiques de la CSL... )