Une nouvelle aventure

La traversée avait été longue et mouvementée, et les cales du Demeter n'étaient pas vraiment confortables, et c'était peu dire... Quoi qu'il en soit, Franz avait enfin pu débarquer après ces quatre semaines de périples dans les tréfonds de la goélette aux relans d'alcool russe... non... décidément... la traversée n'avait pas vraiment été de tout repos !

Le débarquement n'avait pas été bien mieux en fait, et les gens de ce "nouveau monde" étaient si peu accueillants.

Le jeune teuton cacochyme avait, peut-être, eu le tort de se montrer trop agressif, mais il faut reconnaître que les hommes qui l'attendaient sur le quai n'avaient pas, eux non plus, fait montre d'une grande diplomatie...

Enfin, le résultat était là, inutile de vouloir réécrire l'histoire, son sale caractère l'avait, une fois de plus, mis dans une situation de laquelle il aurait sans doute toutes les peines du monde à se sortir... comme d'habitude ! Quand perdrait-il cette extraordinaire capacité à se glisser dans les ennuis comme on rentre le sabre au fourreau ? Probablement jamais.

Comme le disait souvent sa mère : "Il n'y aucun soucis qu'un bon verre de Schnapps de saurait faire passer !" ; et c'est avec cette idée en tête qu'il se dirigeait maintenant vers la taverne la plus proche.

- Qu'est-ce qu'il boit ? lui lança le tenancier dès qu'il eut franchi le pas de l'échoppe.

- Ein Schnapps, bitte.

Le gros homme à la mine joviale éclata d'un grand rire en se tenant les côtes sur lesquelles reposait, raide comme un cartonnage, un vieux tablier que la crasse avait amidonné avec le temps.

- Du quoi ? Tu t'es cru où mon gars ? Ici tu as le choix : whiskey, bourbon ou scotch quand ces salopards d'Écossais viennent m'en échanger pour pouvoir s'amuser un peu avec mes filles !

Le sourcil qui se leva au-dessus de l'oeil droit du Teuton était lourd de sens... et souvent annonciateur d'une rixe dans laquelle, malgré les coups reçus, l'Européen exprimerait toute la rage et toute la colère qui n'avaient de cesse de bouilloner en lui... mais il sut cette fois-ci se contenir, soucieux de ne pas s'attirer davantage d'ennuis... à croire que le temps commençait à lui apporter la maturité et la raison qui lui faisaient tant défaut.

- Grumbl... peu importe alors, donnez moi ce que vous avez.

Le tenancier s'exécuta tout en regardant l'homme d'un oeil amusé.

- T'es v'nu pour la guerre ? lança-t-il en désignant le paquetage soigneusement emballé du jeune homme.

- Ja... enfin nein... enfin... J'étais juste venu pour changer d'air, et puis... il y a eu les hommes du port...

- Les hommes du port ?

- Quand je suis descendu du bateau... Trois hommes se sont approchés de moi et m'ont demandé du papier... votre langue est si... étrange. J'ai cru qu'ils voulaient me détrousser, alors j'ai cogné.

Le bistrotier ouvrit grand les yeux.

- Alors d'autres hommes, en uniforme cette fois, sont venus m'attraper. Comme je ne comprenais pas ce qu'ils me voulaient, j'en ai cogné un ou deux aussi... et puis ils étaient trop nombreux, alors ils m'ont eu.

La stupéfaction d'Olav commençait à laisser place à une forme d'amusement, son regard ne cachait pas la curiosité qui montait en lui, qu'est-ce que l'étranger avait fait ?

- Eh oui, alors après m'avoir laissé croupir deux jours en cellule, ils m'ont conduit dans un espèce de tribunal où un grand type poudré en robe de deuil m'a laissé le choix entre la prison et l'armée... Il a dit que j'avait tabassé des douaniers et que si je m'étais contenté de sortir mes documents d'identité tout se serait bien passé.

- Ça ! Quand on est trop caractériel, il ne peut rien arriver de bon ! Et pourquoi ne retournes-tu pas chez toi ?

Le Teuton grogna de nouveau.

- Ça, pas possible ! J'ai eu des ennuis en Prusse, je me suis battu avec des officiers... m'ont laissé le choix... l'exil... ou l'armée...

L'hôte ne put réprimer un éclat de rire.

-Eh bien mon gars, on peut dire que tu sais faire les bons choix ! Ah ah ! En attendant, sois le bienvenue à la taverne d'Olav, la première tournée est pour moi ! Histoire de fêter tes mésaventures ! Comment donc que tu t'appelles ?

- Franz, chez moi on m'appelle Franz Beyer von Arnim, mais je crois qu'ici Franz suffira.

- Et quel grade qu'ils t'ont donné là ?

Franz défit le paquet duquel un uniforme bleu qui avait visiblement déjà vécu plus d'un combat sortit. L'homme le déplia et observa longuement la manche sur laquelle figurait son grade.

- Hum... Caporal...

- Eh bien Caporal Franz, sois le bienvenue dans l'armée ! Rafrîchis toi bien, il paraît que ça va cogner dur très bientôt !